street art magazine

Libertés

‘’J’aimerais commencer par l’enfance, c’est pour moi la matrice de mon rapport au monde, le début de cet amour pour la nature et ma proximité constante avec elle… C’est le goût de la liberté. Le nord cotentin est très changeant, des espaces immenses, préservés, bousculés par un vent parfois très puissant qui en faisant bouger les nuages, produit d’incroyables variations de lumière. Et quand la lumière change, le paysage n’est plus le même… On passe d’un ciel gris d’automne à un bleu éclatant et pendant des années, mon œil s’est posé sur cette palette naturelle, ce tableau vivant. Je me suis exercé à voir, à anticiper, à combiner luminosité et couleur, sans même m’en rendre compte. Mon rapport à la nature mer, montagne et au surf, m’a beaucoup influencé. Il y a une constante : être seul face à soi-même.

Le surf est une passion, quelque chose de vital dont je ne peux me passer. C’est comme ça, c’est mon addiction salée ! Quand je surfe, je suis seul au monde, il y a moi et l’élément. C’est gratifiant mais difficile, on passe de longs moments à se battre pour aller chercher la vague, suspendu au milieu de l’immensité. Il y a un bonheur et une intensité qui nourrissent forcément l’âme. J’ai aussi beaucoup pratiqué le skate quand la houle n’est pas là pour le surf, et c’est à travers ses codes, sa culture et sa musique que j’ai découvert l’univers graffiti.

Tout me plaisait : la liberté de poser un tag, un signe, un lettrage original issu de l’imagination, la possibilité de mettre en pratique des jeux de formes et de couleurs, le défi créatif, la confrontation avec la trace laissée par celui qui m’avait précédé… et comme dans le surf, on doit se lancer même si on ne maîtrise pas tout. J’aime bien l’idée qu’on ne puisse pas toujours tout décider ou contrôler, que des graffs soient recouverts par d’autres, voire complétés, qu’on y ajoute ce qu’on n’avait pas prévu. C’est une discipline très vivante. J’ai adoré faire mes premières armes là où je me trouvais, sur des blockhaus et aussi quelques murs urbains.

C’est peut-être la combinaison de tout ça qui a forgé ce que je suis aujourd’hui, mon goût pour les couleurs, ce besoin d’interagir avec la nature dans mes graffs, de sublimer un support en milieu naturel en le réinterprétant. En plus, les changements et variations de lumière, de saison, de climat, de marées font que l’œuvre est multiple, il y a comme une forme de communion ou de dialogue entre le graff et la nature, quelque chose d’aléatoire et d’un peu magique. Comme une recette dont on aurait une vague idée et après on voit, si ça prend ou pas.

C’est souvent la nature qui décide et qui me finalise le graff par les photos prises dans l’après-coup. Par exemple, c’est la vague qui vient taper à un moment insoupçonné le graff de l’éléphant qui fait que là, juste là, il devient un immense Kraken. Et c’est la photo de ce moment là qui viendra rendre compte de cette conjugaison aléatoire. Le graff de l’œil aussi, est tellement différent suivant les moments de la journée, les photos portent en elles toutes ces nuances.

Et puis à terme, l’œuvre interagit avec les gens, les discussions et les interprétations qu’ils peuvent en avoir. Là aussi la fresque change, mille regard, mille fresques … elle se densifie et se module au fur et à mesure de l’appropriation par les regards.

Je ne graffe que sur des vestiges de l’activité humaine : épaves, blockhaus, lieux désaffectés, transformateurs… Le lieu où on va graffer, il faut aller le chercher comme on va chercher la vague en surf, ou comme les writters cherchent les bons couloirs, les meilleurs dérivés pour arriver jusqu’à l’endroit de pose. Partir tôt, prendre une échelle, la bricoler avec des roues pour qu’elle puisse porter

les caisses de sprays, se taper toutes les collines, le sable fin, ou gonfler un petit canoë et tout charger pour la mission.

Après il y a la décision d’en faire plus qu’un style de vie, mais une vie tout court, c’est à dire ce moment où tu bascules, où tu paries sur le fait que cette passion pourra permettre suffisamment d’autonomie pour ne pas avoir besoin d’avoir un métier sécurisant à plein temps. Ça m’a amené à avoir plusieurs casquettes, artisan, saisonnier ou graffeur. Ça implique un risque, des lendemains indécis mais peu importe.

Mes intentions et motivations, elles sont assez simples finalement. Je fais souvent des graffes pour inviter, pour proposer de petites échappées visuelles aux promeneurs, et j’aime beaucoup l’idée de graffer en nature pour quelqu’un qui viendrait se perdre, il y a quelque chose de résolument tourné vers autrui chez moi. Je me rappellerai toujours ce qu’un père a dit une fois. Il appelait son gamin pour rentrer et le petit gars lui a dit ‘’mais attend papa, je suis dans l’éléphant !’’ alors qu‘il jouait à l’intérieur du bunker. Provoquer l’imaginaire en terrain de jeu, c’est super !

J’aime bien accompagner mes fresques d’un titre et d’un texte. Les mots sont importants, ils portent une image, densifient un graff ou permettent à la pensée de prendre des chemins de traverses. A chaque graffe je prends le temps de voir comment créer des mots qui iraient avec. Pour l’éléphant il s’agissait de quelque chose de poétique et qui donne à penser autour de la souffrance animal: ‘’c’est l’histoire d’un blockhaus, un blockhaus sans défense’’. Et puis j’ai parfois des intentions assez radicales, comme d’avoir fermé délibérément The Eye, une fresque qui a été beaucoup vue pendant deux ans par les locaux et les touristes, et dont l’image a beaucoup circulé sur Internet, jusqu’au Japon ! L’effacer, c’était permettre que sa disparition soit à la fois une fin mais grâce à celle-ci, le début d’une réflexion sur l’éphémère, le temps qui passe. Et ça me permettait aussi de ne pas m’installer dans une forme de ‘’fonctionnariat artistique’’. Je n’aime pas répéter deux fois le même motif.

Depuis que je suis un peu médiatisé, on essaye souvent de m’apparenter, de m’apparier, de me qualifier ou de me mettre dans des familles de sensibilités. Le dernier truc c’est ‘’beach artiste’’, et j’ai quand même dû batailler un peu pour que ça ne me réduise complètement.

Il y a cette rapidité incroyable souvent de quelques médias, à vous qualifier ou à classifier les artistes et je dirais même à les thématiser, et parfois on n’y peut rien. Est-ce que ça les rassure ? Je ne sais pas. Pour moi c’est le début d’un enfermement artistique et je pense qu’on ne devrait pas faire ça systématiquement, c’est comme si ça vous résumait un peu, enfin c’est comme ça que je peux le ressentir.

Je tiens à une certaine liberté d’action et de choix. Quand je vais graffer, j’aime choisir le thème et le lieu, avec le risque aussi de se prendre une amende, le côté sauvageon n’est pas juste une vue de l’esprit parce qu’il y a vraiment la possibilité que l’endroit qu’on a choisi amène à quelques problèmes, et j’ai beaucoup de respect pour les artistes qui prennent ce risque là, offrir au monde et à la vue sans dieu ni maître. Dès que je peux, je file en repérage, j’imagine des graffes,- que je ne peux pas toujours faire d’ailleurs – je bataille pour pouvoir acheter les bombes mais j’ai ce sourire dedans, je ne sais pas comment expliquer. Au final, je ne peux pas parler d’une implication vraiment politique, mais au moins un peu philosophique. Par le biais de la poésie et de la potentialité évocatrice de certains graffes, on peut réactiver de petites pensées chez l’autre, à propos de soi, du monde, de ce qu’on aimerait en faire, et ça peut permettre de laisser ce besoin d’imaginaire et de créativité nous parler à nouveau.

Voilà, j’aime l’idée de donner accès avec mes petits moyens, à des fresques en milieu naturel. Proposer ou permettre à des gens qui ne peuvent pas ou parfois ne veulent pas, d’ailler y voir et de se laissent emporter quand même. Par une chose qui remue, fait un peu penser ou est simplement belle.

L’idée au fond, de rendre accessible quelque chose qui remettrai l’âme au travail, même juste un peu’’.

näutil