Projet

C’est l’histoire…

Lieu Biville (Manche)
Année 2016

C'est l'histoire d'un blockhaus, un blockhaus sans défense ..

‘’Avec l’Oeil, j’avais réussi sans le vouloir à faire se déplacer des gens d’un point A assez habituel, début de plage à Siouville, à un point B, le blockhaus avec la fresque. Non seulement ça avait pu susciter un peu de curiosité, mais aussi déroutiniser quelques promenades. Certains venaient exprès et passaient par un côté choisi, d’autres par un bout de plage au hasard, et je m’étais dis que s’il y avait ce petit but à la clé, certaines personnes se réapproprieraient à nouveau quelques-uns de ces lieux. Ces lieux si particuliers, leurs découpes, leurs belles richesses, leur beauté de vents et de nuages .. et se remettraient peut-être plus à se perdre sur des kilomètres pendant le trajet. Alors pourquoi pas faire un graff plus loin, et tenter un point C ? Réinvestir un lieu connu mais déserté, c’est un peu comme le faire naître deux fois, lui redonner une place dans nos yeux. J’ai peut-être l’ambition de créer des choses qui à la fois fassent rèvasser et remuent, sur le fond proposer quelque chose qui bouge et fasse bouger à la fois géographiquement et intérieurement.

Alors pour celui-ci je sais, je dois être le 308 000ème à aborder le sujet de l’exploitation, de l’abus sur les animaux, mais ça me paraissait important, le sujet ne me quitte jamais vraiment, et ce graff s’est mis à me trotter dans la tête pendant quelques semaines. Il y a certaines utilisations de l’animal qui peuvent se comprendre et se tolérer, même si elles ne sont de loin pas régulées et pratiquées correctement. Donc même si on tue encore les animaux pour les manger, il ne faut pas lâcher là-dessus, il peut y avoir une dignité minimale là-dedans, et chaque culture, chaque société à ce travail à faire par rapport à la vie et à l’exploitation animale. Je crois savoir qu’en Chine, on se contrefout du droit des animaux, il est abordé sur son versant purement utilitaire. Mais à l’époque chez les indiens avant de tuer les animaux, on les remerciait de permettre de manger, et dans les pays européens et ailleurs, leurs droits commencent sérieusement à être pris en compte. Et puis dans d’autres endroits et suivant l’animal, il peut être sacralisé bref, le rapport de l’humain à l’animal est encore un vaste débat bourré de différence.
Et me travaillait pas mal la question de la mort vaine, qui sert à rien, même pas à se nourrir. A rien. Genre là, on mutile une bête de plusieurs tonnes pour lui piquer deux défenses. Une vie est foudroyée pour ça, quelques grammes d’ivoire. Et parfois c’est juste pour faire la photo .. un animal de plusieurs tonnes sacrifié pour une seule photo de triomphe imbécile. L’actualité récente montre que c’est bien toujours en vogue. Un être humain qui a besoin d’un trophée de ce genre pour se mettre en valeur, pour moi c’est comme si un collier de boyau ça pouvait faire joli pour aller en soirée : c’est limite une démarche de psychopathe ! des malades mais je ne sais pas de quoi, de solitude, de manque d’amour, d’ennui .. bon en tout cas c’est l’animal qui en paye le prix. Un animal souvent sans défense.

 

Ce blockhaus bien patiné, énorme, vacillant, immobile et comme en attente, ça m’a tout de suite évoqué un éléphant passif, révolté, mutilé et souffrant. J’ai essayé de mettre dans le seul œil qu’il possède, quelque chose d’une révolte et d’une interrogation. Pourquoi ? Pour un humain, il y a d’autres moyens pour chercher l’attention, l’amour, le pognon ou l’adrénaline que de faire des choses pareilles. J’ai jamais voulu que ces gens se sentent à l’aise de faire ça, et à travers ma pratique, le graff à la fois rend hommage à la pierre de béton, mais aussi sublime, poétise l’animal et peut pointer aussi ce type de barbarie. On ne peut pas faire comme si tout ça c’était juste normal. Ce graff, c‘est une goutte d’eau, une goutte de spray dans l’océan de ce qu’il reste à faire mais ça m’est égal, on sait comment se forme les ruisseaux, par l’empilement de tout ça, de toutes petites volontés de ci de là. La loi du plus fort, c’est les cavernes. Il serait temps que l’homme ait un rapport sain et juste avec l’animal. Une paix. Leur laisser la paix. Ce blockhaus fait pour apporter la mort, a été détourné comme porteur d’un petit message de vie. Ca m’importe, et ça me suffit.

näutil 2016