‘’Avec l’Oeil, j’avais réussi sans le vouloir à faire se déplacer des gens d’un point A assez habituel, début de plage à Siouville, à un point B, le blockhaus avec la fresque. Non seulement ça avait pu susciter un peu de curiosité, mais aussi déroutiniser quelques promenades. Certains venaient exprès et passaient par un côté choisi, d’autres par un bout de plage au hasard, et je m’étais dis que s’il y avait ce petit but à la clé, certaines personnes se réapproprieraient à nouveau quelques-uns de ces lieux. Ces lieux si particuliers, leurs découpes, leurs belles richesses, leur beauté de vents et de nuages .. et se remettraient peut-être plus à se perdre sur des kilomètres pendant le trajet. Alors pourquoi pas faire un graff plus loin, et tenter un point C ? Réinvestir un lieu connu mais déserté, c’est un peu comme le faire naître deux fois, lui redonner une place dans nos yeux. J’ai peut-être l’ambition de créer des choses qui à la fois fassent rèvasser et remuent, sur le fond proposer quelque chose qui bouge et fasse bouger à la fois géographiquement et intérieurement.
Ce blockhaus bien patiné, énorme, vacillant, immobile et comme en attente, ça m’a tout de suite évoqué un éléphant passif, révolté, mutilé et souffrant. J’ai essayé de mettre dans le seul œil qu’il possède, quelque chose d’une révolte et d’une interrogation. Pourquoi ? Pour un humain, il y a d’autres moyens pour chercher l’attention, l’amour, le pognon ou l’adrénaline que de faire des choses pareilles. J’ai jamais voulu que ces gens se sentent à l’aise de faire ça, et à travers ma pratique, le graff à la fois rend hommage à la pierre de béton, mais aussi sublime, poétise l’animal et peut pointer aussi ce type de barbarie. On ne peut pas faire comme si tout ça c’était juste normal. Ce graff, c‘est une goutte d’eau, une goutte de spray dans l’océan de ce qu’il reste à faire mais ça m’est égal, on sait comment se forme les ruisseaux, par l’empilement de tout ça, de toutes petites volontés de ci de là. La loi du plus fort, c’est les cavernes. Il serait temps que l’homme ait un rapport sain et juste avec l’animal. Une paix. Leur laisser la paix. Ce blockhaus fait pour apporter la mort, a été détourné comme porteur d’un petit message de vie. Ca m’importe, et ça me suffit.
näutil 2016